Décharges électriques de laboratoire

 

1-1      Généralités

1-2      Décharge positive grande distance (LHT Munich)

1-3      Décharge négative – Décharge foudre (LHT Les Renardières)

1-4      Etude du stem spatial (LHT de Pau)

1-5      Correction atmosphérique sur les paramètres d'amorçage (LHT Cardiff)

1-6      Etude de la première couronne (LHT de Munich et Tucuman)

· Relation tension-charge de la première couronne

· Distribution statistique de la tension d'apparition

· Modèle du volume critique

 

1-1        Généralités

La principale motivation de ces études est de caractériser la perte de rigidité diélectrique totale ou partielle d'un intervalle d'air soumis à une impulsion de tension. L'établissement d'un canal conducteur (arc) entre les 2 électrodes se fait de façon progressive aussi bien dans le temps que dans l'espace. On utilise généralement une configuration d'électrodes pointe-plan pour imposer un sens de propagation au canal de pré-décharge, le leader, qui précède le cour-circuit. Le leader se propage de la région de champ élevé, la pointe, vers le plan. Le leader est un canal faiblement ionisé (électrons et ions positifs), relativement bon conducteur et chaud (T > 1500K). Il doit son développement à une autre phase, le "streamer". Le streamer est un front d'ionisation s'auto propageant dans des conditions de champ bien déterminées. Son développement conduit à la formation de filaments relativement froids (T = 300K) et faiblement conducteurs. Dans le cas du leader positif (propagation vers des potentiels décroissants) les streamers positifs se développent depuis l'extrémité libre du leader, qu'on appelle le stem, et occupent une espèce de cône qu'on appelle la couronne. Tant que la tension appliquée croît, le développement de couronnes se succède, les streamers ionisent l'air vierge et contribuent à l'allongement de canal du leader qui évacue les charges vers l'anode (Figure 1, gauche). Le stem est une phase de transition entre streamer et leader.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Figure 1 : développement de la  décharge  électrique positive  avec la tension appliquée à l'anode

Pour le leader négatif (propagation vers des potentiels croissants) le mécanisme de propagation est plus complexe et pas parfaitement décrit. On y observe des streamers positifs et négatifs émis depuis un stem spatial déconnecté du leader et, sur de grandes distances, un leader spatial bi-directionnel (ou bipolaire) participe aux développement de la pré-décharge (Figure 2). Le stem spatial, composé d'ions négatifs et positifs semble être crée à l'extrémité des couronnes. Ce stem spatial peut dégénérer en bi-leader spatial (Figure 2).  Il est alors intéressant de bien connaître les mécanismes de propagation du canal de décharge afin de proposer des modèles capables de prévoir les conditions d'amorçage d'un intervalle pour différentes situations (forme et polarité de la contrainte de tension, géométrie de l'intervalle et paramètres atmosphériques).

 

 

 

 

 

 

 

 


Figure 2 : développement de la  décharge  électrique négative  a) temporel, b) instantané

D'une manière générale, l'étude expérimentale consiste principalement en des mesures électriques, mesures de tension, de courant, de charges et de champ électrique. Suivant la longueur de l'intervalle inter-électrode, les tensions varient de quelques dizaines de kilovolts à plusieurs mégavolts.  Les courants, suivant les phases de la décharge, varient de quelques milliampères à quelques centaines d'ampères. Les temps associés aux différentes phases sont souvent à la limite de résolution de nos appareils de mesure (quelques centaines de picosecondes) mais ne dépassent jamais la milliseconde. Les mesures électriques sont souvent complétées par des mesures optiques. Des photomultiplicateurs sensibles dans l'UV ou l'IR ainsi que les convertisseurs d'images, fournissent des diagnostics fondamentaux pour l'étude phénoménologique. Entre 1990 et 2003 j'ai mené des campagnes de mesures dans les laboratoires haute tension des université de Munich, de Cardiff et de Tucuman ainsi qu'au LHT des Renardières de EDF. J'ai été membre du Laboratoire Génie electrique de Pau, en tant que doctorant (3.5 ans), puis en tant qu'ATER (2 ans).

Au LHT de Pau, la plupart des instruments sont conçus au laboratoire. En particulier la mesure de courant (ou de charge) demande des précautions particulières. Elle est réalisée à partir de l'électrode haute tension et les impulsions enregistrées présentent des durées de front inférieures à la nanoseconde et des crêtes qui peuvent atteindre l'ampère. Enfin, des mesures un peu particulières, comme la strioscopie [18] et l'interférométrie [15], ont été développées dans ce laboratoire (Figure 3). Ces techniques de mesure ont pour objectif de visualiser l'empreinte thermique du canal de décharge, la première de façon qualitative, la seconde permettant une réelle mesure de la densité des neutres dans le canal.

 

Figure 3 : mesures strioscopiques et interférométriques

1-2        Décharge positive grande distance (LHT Munich)

Mon travail de thèse a porté principalement sur l'étude des décharges électriques positives sur un intervalle de 2,2 mètres soumis à des impulsions de tension oscillantes. Des oscillations de fréquence variable étaient superposées à une impulsion de tension afin de "chahuter" la propagation de la décharge. Ces perturbations m'ont permis de mettre en évidence le comportement des phases leader et streamer dans des champs électriques perturbés. J'ai proposé un modèle original capable de prévoir les paramètres d'amorçage de l'intervalle pour une large gamme de forme d'impulsion de tension [1, 12, 13]. Ce modèle s'appuie sur la relation tension-charge mise expérimentalement en évidence et qui caractérise la propagation du leader. Le modèle a été testé sur d'autres configurations d'électrodes et sa validité est acquise pour des intervalles supérieurs à 2 mètres.

1-3        Décharge négative – Décharge foudre (LHT Les Renardières)

J'ai également engagé une étude sur la décharge négative que j'ai poursuivie au-delà de ma thèse grâce à un poste d'ATER. J'ai tout d'abord participé à une campagne de mesures sur la décharge négative au LHT  Les Renardières (EDF). Ce laboratoire dispose d'un générateur de Marx de 6MV (450kJ) qui permet de développer des décharges sur un intervalle pointe plan de 17 mètres. L'objectif de cette campagne était de comparer les caractéristiques des décharges de laboratoire avec celles de la décharge atmosphérique entre nuage et sol (foudre). En laboratoire, lorsque l'intervalle est suffisamment grand, le stem spatial en aval de la décharge peut dégénérer en leader. Il s'agit alors d'un leader "spatial" connecté à l'électrode uniquement par l'intermédiaire de streamers. Son développement est bi-directionnel et lorsqu'il connecte le leader négatif, il engendre une importante élongation du canal de décharge. C'est ce mécanisme qui confère à la décharge négative une propagation discontinue caractéristique et que les scientifiques de la foudre qualifient de "traceur par bonds" ou "stepped leader". Les mesures ont permis de mettre en évidence des relations évidentes entre les décharges de laboratoire et la décharge de foudre avec, bien évidemment, des écarts sur les ordres de grandeur des différents paramètres [2, 14].

1-4        Etude du stem spatial (LHT de Pau)

Sur des intervalles plus réduits, de l'ordre du mètre, je me suis appliqué à étudier en détail le développement du stem spatial. Des enregistrements photographiques au convertisseur d'images, associés à des mesures de courant, ont permis de décrire les processus de formation et de propagation du stem spatial. Ce stem, formé dans la trace des streamers de la première couronne négative, se comporte comme une électrode flottante en émettant de façon alternée des streamers négatifs, vers l'anode plane, et de streamers positifs connectés à la cathode via le leader négatif. Son activité, en termes d'émission de streamers, est régulée par les variations du champ électrique extérieur d'une part, et par son temps de relaxation d'autre part. Nous avons donc déterminé la forme de l'impulsion de tension qui conduit à une propagation quasi continue du stem spatial (Figure 4). Dans ces conditions nous avons pu mesurer les vitesses de propagation et les quantités de charges "consommées" par les différents éléments de la décharge. Ce travail a coïncidé avec le stage de DEA et le début de la thèse de M. Thierry Reess [3, 16, 20].

Figure 4 : développement spatio-temporel du stem spatial

1-5        Correction atmosphérique sur les paramètres d'amorçage (LHT Cardiff)

Dans le cadre d'un stage post-doctoral au LHT de l'Université de Cardiff, j'ai entièrement monté une manipulation destinée à tester la tenue diélectrique d'un petit intervalle d'air en fonction de la pression, de l'humidité et de la température. Cette étude présente un caractère plutôt industriel mais nous avons tenté de mettre nos connaissances sur la physique de la décharge, au service de l'ingénieur pour élaborer un facteur de correction des paramètres d'amorçage en fonction des paramètres atmosphériques. Les systèmes haute tension sont généralement testés en laboratoire pour déterminer les contraintes électriques maximales qu'ils peuvent subir. Les conditions climatiques du laboratoire où sont réalisés les tests peuvent être très différentes de celles du lieu où le système sera installé. Ceci entraîne, soit des essais plus complexes en laboratoire (reconstitution des conditions climatiques prévues), soit un surdimensionnement des équipements. Dans les deux cas des coûts importants sont engagés. Durant ce stage de 6 mois, j'ai travaillé avec un étudiant de l'Université de Swansea qui débutait sa thèse. Nous avons construit un générateur de Marx capable de produire des impulsions de choc de foudre, impulsions destinées à simuler les surtensions occasionnées par les impacts de foudre, dont l'amplitude maximale était de 250 kV. L'intervalle tige-plan de 20 cm était logé dans une chambre étanche où l'atmosphère était parfaitement contrôlée (pression, température, humidité). Durant ces 6 mois nous avons réalisé une grande quantité d'essais. Ces essais consistent à mesurer le niveau de tension qui produit 50% de claquage pour des conditions atmosphériques variables. Ces premiers résultats ont été publiés en conférences[17, 19, 30]. Après mon départ l'étudiant n'a malheureusement pas poursuivi sa thèse et ma nomination à l'Université de la Polynésie Française a interrompu ce travail. Récemment, j'ai repris toutes les données et j'ai établi une relation linéaire de la tension d'amorçage en fonction des paramètres atmosphériques. Cette fonction repose sur des considérations physiques de la décharge et sur nos résultats expérimentaux. Elle permet non seulement de corriger des mesures faites dans des conditions climatiques particulières mais également de prévoir les valeurs minimale et moyenne de la tension de claquage d'un intervalle d'air de longueur comprise entre 20 et 100 cm, pour des rayons d'anode de 2 à 50 cm et des formes d'impulsion allant du choc de manœuvre (250/2000µs) au choc foudre (2/50 µs) [10]

1-6        Etude de la première couronne (LHT de Munich et Tucuman)

En 1998, je participe au projet d'étude relatif à l'impulsion de première couronne dans l'air et en grande distance (photo ci-contre) qu'avait récemment lancé Ricardo Diaz U. de Tucuman) et Falk Rühling (U. Tech de Munich). L'objectif est de réaliser une série de mesures la plus complète possible afin de caractériser et modéliser au moins la première phase d'ionisation qui caractérise les décharges électriques grande distance, la première couronne (Figure 5)  [21, 22, 23, 24]

Les paramètres qui peuvent influencer l'apparition et le développement de la première couronne sont la forme de l'impulsion de tension, le matériau et le rayon de courbure de l'électrode conique, et les conditions atmosphériques. L'idée qui consiste à réaliser les mêmes expériences dans 2 laboratoires différents repose sur la volonté d'obtenir des conditions climatiques naturellement variées. Les manipulations en chambre étanche ne permettent des études que sur de petits intervalles et les parois souvent trop proches modifient la distribution du champ électrique dans l'intervalle. Outre la pression et la température du gaz, sa teneur en vapeur d'eau est un paramètre important et son effet est plutôt controversé dans la littérature. Au total une dizaine de campagnes a été réalisée entre 1998 et 2003. Les résultats des premières campagnes nous ont ensuite montré que la densité des ions positifs et négatifs de l'air était également un paramètre fondamental. Une attention particulière s'est portée sur la mesure de ce paramètre et des ionomètres capables de distinguer les ions légers () des ions plus lourds () ont été élaborés.

· Relation tension-charge de la première couronne

A partir des résultats de mesure je me suis particulièrement intéressé à la relation qui lie la tension appliquée et les charges mises en jeu lors du développement de la première couronne. La mesure de la charge est déduite soit d'une sonde capacitive soit par intégration de la mesure du courant. Les deux types de sonde, fabriqués pour les circonstances, sont logés dans l'électrode haute tension et connectés aux oscilloscopes via une fibre optique. Le principe de ces sondes avait été conçu lors de ma thèse au LGE de Pau. Les résultats expérimentaux ont fait clairement apparaître une relation quadratique entre les deux paramètres. En justifiant quelques approximations sur la géométrie de la couronne, j'ai appliqué le théorème de Gauss et obtenu une relation quadratique qui lie la charge réelle déposée dans l'intervalle et la tension appliquée, justifiant ainsi la relation quadratique empirique. J'ai également appliqué le théorème de Maxwell-Ampère et dans ce cas, j'obtiens une relation quadratique entre la charge mesurée et la tension appliquée. En effet, nous savons que la charge mesurée ne correspond pas exactement à la charge déposée dans l'intervalle, de ce fait, cette troisième relation réduit les approximations nécessaires à l'application du théorème de Gauss [5, 25]. D'autre part, cette relation fait apparaître le champ à l'extrémité des streamers qui est un paramètre mesurable et calculable. Je pense que ce modèle peut s'appliquer au cas des couronnes de leader, même si celles-ci se développent en milieu déjà ionisé (par les couronnes précédentes). Si le leader est assimilable à une électrode (hypothèse qui sera peut être la difficulté du travail) on pourrait alors prévoir la charge produite par les couronnes de leader. La quantité de charge drainée par le leader est un paramètre fondamental pour caractériser ses propriétés électriques et thermodynamiques. Enfin, j'ai récemment testé ce modèle dans le cas d'une configuration fil-cylindre. Le modèle pourra donc être utile pour la modélisation de l'atténuation de la propagation d'une impulsion de courant le long d'une ligne.

· Distribution statistique de la tension d'apparition

L'apparition de la première couronne est de nature aléatoire. A partir de nos données j'ai testé différentes lois statistiques afin de caractériser la distribution des tensions (ou des temps) d'apparition de la première couronne. Généralement , c'est une distribution dite de "quasi-poisson" (Poisson-like en anglais) qui est adoptée pour décrire la distribution statistique du phénomène. J'ai appliqué les lois de Gauss (Normale) de Weibull et de Gumbel [21, 32]. L'intérêt de ces deux dernières distributions est qu'elles sont bornées. Or, nous savons qu'une tension minimale existe pour déclencher une première couronne. Expérimentalement, ce paramètre est difficilement mesurable et nécessite l'enregistrement d'un grand nombre de données. Les résultats de cette étude montrent que la loi de Gumbel est la plus adaptée et qu'elle pourrait être utilisée pour obtenir le seuil d'apparition de la première couronne à partir d'un nombre réduit de mesures.

· Modèle du volume critique

Je me suis également intéressé à la distribution statistique des tensions d'apparition de la première couronne en polarité positive. J'ai utilisé un modèle bien connu, le modèle du volume critique. Les streamers positifs qui constituent le première couronne sont déclenchés par une avalanche électronique dont l'origine est un électron qu'on qualifie d'électron germe. Le modèle exprime que la probabilité de déclenchement de la première couronne est liée à la probabilité de présence d'un ion , source de l'électron germe, dans un volume critique. Cette probabilité est donc liée à la densité des ions et à leur durée de vie. Le volume critique est défini par 2 surfaces (Figure 6), la première indiquant le lieu où le coefficient d'ionisation est supérieur au coefficient d'attachement et la seconde est située à une distance de l'anode telle que l'avalanche puisse atteindre une taille critique. C'est bien entendu le champ électrique local qui permet de quantifier ces deux critères.

En air sec le problème est relativement simple. En air humide, les molécules d'eau hydratent les ions  ®  avec n = 1, 2, 3, …) et modifient leur densité. Les effets de l'humidité sur les paramètres d'apparition de la première couronne sont controversés et ne sont pas complètement pris en compte dans le modèle du volume critique. Cependant, un effet s'avère être unanime: l'humidité réduit la dispersion des mesures. J'ai donc appliqué le modèle à notre configuration d'essais afin de mettre en évidence l'influence de ce paramètre sur la distribution des tensions d'apparition et sur sa valeur minimale. Le calcul de champ est fait grâce à un programme utilisant la méthode des simulations de charges et fourni par le LHT de Munich. C'est une étudiante en Mathématiques Appliquées, Aurélie Laplagne, qui se charge au cours d'un stage d'études de modéliser la distribution du champ électrique dans l'intervalle. Fort de cet outil et de nos résultats d'essais, j'ai pu mettre en évidence une faiblesse du modèle qui consistait à considérer la densité d'ions négatifs constante. J'ai montré que le processus d'agrégation des molécules d'eau sur les ions , s'il réduisait la probabilité d'apparition de la couronne en champ faible, agissait comme réservoir d'ions qui devenaient source d'ions  lorsque le champ électrique augmentait suffisamment. La comparaison des résultats du modèle et de nos distributions expérimentales fait apparaître un paramètre ajustable par la méthode des moindres carrés. Cette mesure montre que la densité totale des ions négatifs ( + ses hydrates) en champ nul est exponentiellement liée à la mesure de l'humidité. D'autre part, des mesures réalisées par mes collègues argentins à l'aide de différents types d'ionomètres ont montré que la densité des "gros" ions était liée de la même façon à l'hygrométrie (exponentiellement) alors que celle des petits ions était constante vis-à-vis de ce paramètre. Dans cette étude, les gros ions sont distingués des petits ions par leur mobilité. La comparaison de la relation fournie par les Argentins et celle déduite du volume critique renforce ma nouvelle hypothèse. Cependant, une étude supplémentaire sur la densité ionique de l'air est nécessaire et la définition claire d'un "petit" ion ou d'un "gros" ion est indispensable pour la suite de cette discussion [11, 29].